Alice Dionne

Les grandes vacances

Gagner sa vie

Voilà, c’est fait, j’ai gagné ma vie! J’ai pris ma retraite complète il y a 10 mois et j’ai pu remiser contraintes et cadran. C’est les grandes vacances! Je m’en sens plus légère, et je vis pratiquement sans pression. Je ne suis pas libre comme l’air car j’ai encore des listes de « À faire: coop, rendez-vous médical, déclarations de revenus, paiement de facture, etc. », mais je peux davantage savourer l’instant présent, ayant l’horaire moins pesant. J’ai plus de temps, et je peux le prendre, pour moi, pour mes proches ou pour un passant. Pour admirer, réfléchir, écouter, apprendre, ressentir, vivre.

Je n’ai pas de projet de retraite. J’en suis encore à me demander ce que je vais faire quand je vais être grande. Je fais des activités qui me font du bien, par exemple je lis, j’apprends, je m’étire et je marche. J’ai aussi un grand talent pour le farniente que je peux enfin exploiter.

Je veux aussi me préoccuper plus des gens que j’aime que mon ancienne vie m’a amenée à négliger. S’occuper de son monde, c’est précieux. J’ai des amitiés de longue date. On se voit moins souvent, mais on rigole encore ensemble parfois comme si on s’était vu la veille. Les interactions sont importantes dans ma vie, je ne suis pas une ermite. Je me nourris d’échanges et de partages, ce qui me stimule humainement et intellectuellement.

J’aime discuter après une sortie entre amis de ce qu’on vient de voir, que ce soit un film, un spectacle ou une exposition. Je prends aussi différents cours et j’assiste à des conférences. J’ai d’ailleurs été dans un club de lecture récemment, j’aimerais joindre d’autres groupes de réflexion.

Les petits bonheurs coupables

C’est la belle vie, mais puis-je me terrer dans mes petits bonheurs sans ressentir de la culpabilité? C’est difficile d’accepter de vivre pour soi sans se sentir égoïste. En tant que femme de ma génération, je n’ai pas été élevée à penser à moi.

Au début, je me sentais coupable de me la couler douce. Plusieurs de mes amis sont encore très actifs, motivés et militants. Pendant qu’ils changent le monde, je regarde les fleurs pousser. J’étais gênée d’être aussi plate. Tout tourne autour du monde du travail et une grand part de ton identité y est liée. Notre métier n’est pas la somme de qui on est. Il y a aussi nos états d’âmes et nos réflexions.

Le monde du travail occupe une place prépondérante dans la société, mais qu’en-est-il du travail sur soi et du temps de s’occuper de ses proches? Il y a plusieurs façons de se réaliser, et ne plus être prise dans le carcan professionnel m’a permis de me redécouvrir. J’ai évolué : je ne me sens plus coupable. Si le monde ne me trouve pas intéressante, ce n’est pas grave. Je suis plus détachée. On glorifie une vieillesse peppée, mais moi j’ai les moyens d’une vieillesse pépère. Je ne suis pas Jack Rabbit, et j’ai accepté que c’était correct aussi. De toute manière, l’énergie de la jeunesse n’est plus au rendez-vous; ce qui me prenait une demi-journée me prend maintenant deux jours. Des choix s’imposent ainsi par la force des choses. Parfois, quand on est plus jeune, on projette qu’on va vouloir demeurer actif en prenant de l’âge, mais c’est parce qu’on voit ce qu’on peut perdre, pas ce que la réalité va nous imposer.

À un certain âge, certaines personnes souhaitent continuer à œuvrer pour se réaliser, ce qui est très bien. Je vais peut-être décider un jour de me réimpliquer socialement, mais je ne veux pas le faire pour être une bonne vieille, mais bien parce que j’en aurais sincèrement envie. Pour le moment je signe beaucoup de pétitions et j’évite temporairement tout ce qui pourrait me rendre captive. Je profite de mon grand prix.

 

 

Le prix de la vieillesse

Qu’ai-je gagné? Mes grandes vacances! Elles sont enfin arrivées et je nage dans le bien-être depuis! Comme dans la vie active, certains font un grand voyage outre-mer, d’autres vont 2 semaines à la plage Jean Doré. Moi, j’ai gagné la plage Jean Doré. Je n’ai pas beaucoup d’argent, mais j’en ai assez pour vivre. Je me considère quand même chanceuse car il y a trop d’aînés dans la pauvreté. Sans un sou, sans santé, leur grand voyage, c’est le CHSLD. Oublie la plage, même le bain c’est compliqué!

C’est horrible de devoir survivre ainsi. Je fais une différence entre cette vieillesse où la mort a déjà empiété sur la vie, où chaque minute semble être du temps emprunté, de l’étape où j’en suis dans ma vie: la prime vieillesse. C’est une expression de Serge Bouchard qui m’a frappée car elle correspond bien à mon sentiment du moment. Je rencontre quand même des petits cailloux sur ma plage dorée.

J’aurais pu mieux préparer ma retraite. Par exemple, on pense aux postes budgétaires qui vont disparaître à la retraite, mais pas à ceux qui apparaissent. Il n’y a qu’à aller dans une pharmacie pour le constater et prendre peur: en plus des médicaments, il y a des allées complètes réservées aux vieux. Il y a aussi toutes ces crèmes anti-rides, mais ça bien des jeunes en raffolent. Je ne me suis jamais soucié de mon apparence, mais je prends davantage soin de mon corps et de ma santé, tout un contrat! Ce qui m’importe, c’est de me sentir bien. Avec l’âge, certaines contraintes physiques apparaissent, il faut faire plus attention.

Le temps de vivre

On s’aperçoit qu’on est vieux quand on arrache des pages entières de son carnet d’adresse. On est confronté à la mort plus régulièrement, et on sait qu’on a moins de temps. Et pourtant, maintenant, l’urgence de vivre, c’est de prendre mon temps, tout simplement. Je cueille ce qui passe au lieu de laisser passer.

Quand je suis partie en vacances, j’avais encore des fantômes dans mes bagages. Je m’en départis sur le chemin pour voyager léger. J’ai commencé un grand ménage pour ne pas m’encombrer des haillons du passé. Je me soucie moins de la destination, j’apprécie le sentier.