Alexandra Philoctète

Le récit de ma vie

La rencontre avec l’autre

J’ai réalisé une étape importante de mon existence récemment : écrire le récit de quelques tranches de ma vie. La rédaction de cette autobiographie fait partie d’un projet du département de Géographie de l’Université Concordia (voir les détails de ce projet en ligne à l’adresse suivante: http://geomedialab.org/images/projects/artist_workshop/RencontreAvecLautre.pdf). Nous étions quatre personnes de différentes nationalités à participer à ce projet.

Ce récit des tranches de ma vie présente quelque chose de particulier, car chaque endroit que j’ai vécu ou que j’ai visité est accompagné de cartes géographiques permettant de faire le lien entre mon environnement, mes émotions et mon cadre de vie.

C’est ainsi qu’à travers ce voyage dans le temps, j’ai revu les principales périodes de mon existence: mon enfance à Jérémie (Haïti), mon adolescence à New York (États-Unis) et ma vie d’adulte au Québec (Canada).

J’ai découvert à travers ce travail de mémoire que la rencontre avec l’autre a représenté un aspect primordial dans ma vie. Comme tout être humain, il m’est arrivé, en cours de route, de recevoir des baffes, mais peu importe, je me rends compte que c’est en allant vers les autres, en faisant fi des préjugés, en échangeant avec eux quels qu’ils soient que j’ai pu aller de l’avant, évoluer sur le plan personnel et apprendre à apprécier et à aimer la vie.

À mon arrivée dans le Bronx à New York, j’ai appris une grande leçon de vie : ne pas laisser la peur du rejet nous empêcher d’aller vers les autres. Fréquenter différentes communautés culturelles m’a amenée à comprendre très jeune qu’on ne se définit pas par rapport à une religion, à une couleur, à une nationalité, mais plutôt par des valeurs humaines communes. Le sectarisme m’effraie.

Mon engagement social

C’est ce qui m’a amené à m’intéresser à la fin de mes études secondaires à diverses causes sociales et politiques. J’ai participé à de nombreuses marches contre les dictatures, le racisme et la pauvreté.

À mon arrivée au Québec je m’intéresserai au féminisme, grâce à ma nouvelle amie Micheline Corbeil Laramée qui m’offrira le livre de Germaine Greer, La femme eunuque. Plus tard, je deviendrai membre du Point de Ralliement des femmes d’origine haïtienne et vers cette même époque, je ferai la rencontre de la grande humaniste et féministe Léa Roback.

Mes années au Québec

Les années 1970 à 2014 seront des périodes charnières pour moi, elles me permettront de découvrir non seulement une bonne partie du Québec mais également du Canada. C’est ainsi que je visiterai Rimouski, la Côte Nord et quelques petites villes proches de Rivière-du-Loup telles que Saint-Louis-du Ha ! Ha ! Là Je découvrirai des paysages pittoresques qui m’amèneront à conclure que pour bien connaître le Québec, il ne faut pas se cantonner strictement à la Vieille Capitale et à Montréal, mais il faut également découvrir ses régions.

Dans le cadre de mes contrats je visiterai également des régions du Canada tels que la Colombie Britannique, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick. Ces déplacements au Québec et au Canada vont être d’une importance capitale pour moi : ils vont m’enrichir intellectuellement et humainement et me permettre de mieux connaître mon pays d’adoption.

Le fait d’avoir été travailleuse autonome durant plus d’une vingtaine d’années m’a permis d’évoluer dans bon nombre de milieux stimulants et de réaliser des projets d’envergure dans plusieurs domaines : théâtre, radio, cinéma, presse, édition, organisation d’événements, milieux communautaires, fonction publique, etc. Toutes ces expériences m’ont permis de satisfaire ma curiosité intellectuelle, de m’engager socialement, d’avoir des échanges passionnants et de recevoir des marques de reconnaissance qui m’ont touché profondément.

L’amitié

À travers ces expériences diverses, je rencontrerai bon nombre de gens sur ma route. Quelques-uns deviendront des intimes, d’autres de bons amis et certains resteront des relations sociales, sans plus. Il m’est arrivé au cours de ma vie d’être déçue par quelques personnes, mais avec le temps, j’ai réussi à tourner la page, je ne leur garde pas rancune. J’ai appris une chose de ma mère qui me disait : « Alex, lorsque quelqu’un te fait du tort, souhaite-lui le plus grand bonheur possible afin qu’il t’oublie ». Je crois que ce n’est pas toujours facile, mais lorsqu’on y arrive, on se libère d’un poids.

Ce que je constate en prenant de l’âge, c’est que j’ai de moins en moins de gens qui me déçoivent et je comprends pourquoi. La réponse m’est venue d’une remarque de Charlie Chaplin : « Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai compris que ma tête pouvait me tromper et me décevoir. Mais si je la mets au service de mon cœur, elle devient une alliée très précieuse ! » Plus on s’estime, moins on se laisse affecter par les mesquineries des autres. Ce que j’ai appris également avec le temps, c’est de me méfier des gens qui ont une très faible opinion d’eux-mêmes et qui n’arrivent pas à s’assumer.

Pour en revenir à l’amitié, je la considère comme un bien précieux. Mes amis ont toujours été présents dans les pires et les meilleurs moments de ma vie. Et je le leur rends bien, je crois. Pour tout dire, ils représentent ma deuxième famille.

L’horrible rencontre

Je dois dire que la rencontre avec le cancer a été la pire épreuve de mon existence. Cependant, il y a un côté absurde dans cette expérience que je ne saurais ignorer, c’est tout l’amour que j’ai reçu de mon entourage : amis, famille, collègues de bureau, voisins, personnel médical et connaissances. Les marques d’affection étaient si nombreuses que je ne saurais toutes les énumérer. Que dire de plus ? Je dis merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont aidée à traverser cette période difficile.

De rêve en rêve

Maintenant que j’ai atteint d’autres rives, j’ai encore d’autres rêves. Ma priorité est de partager mon récit de vie avec ma famille, mes amis et avec toutes les personnes qu’un tel sujet intéresse. J’espère aussi que le livre dont je suis l’initiatrice, D’Haïti au Québec, quelques parcours de femmes, publié en 2016, par un collectif de femmes, pourra être utile et continuera sa route. Finalement, grâce à ma famille, mes amis, mon oncologue et mes connaissances, je remonte la pente après mon cancer et je peux continuer à dire comme toujours : Le meilleur reste à venir.